i don't remember why we stayed a foot out the door, a foot in the grave.

new york, october 2003.
Been five years since you crossed my mind
I guess it's true how time can fly
I know I said that I would call
But I never think of you at all
@marianas trench, don't miss me?


Brandon Rose will play Prince Hans in The Nutcracker. The 18-year-old prodigy—
« C’est bon, tu as fini de t’admirer ? » Une main parfaitement manucurée, armée d’un ongle redoutablement tranchant, s’aplatit en plein sur la page du journal où était imprimé son visage. Bran releva les yeux ; en face de lui, Serena, toutes griffes dehors, ses jolis sourcils si froncés qu’ils allaient finir par se toucher, affichait un visage qui disait tout de son mécontentement. Oh boy. « Je ne peux pas croire que tu vas danser sans moi. » continua Serena sans le regarder, ses yeux de fauve braqués sur le malheureux trader qui faisait la queue devant eux. Il semblait pouvoir sentir le regard de la danseuse sur sa nuque exposée car il se tassait de plus en plus - à moins que ce ne soit le froid glacial qui le forçait à se recroqueviller sous sa veste de costume hors de prix.
Bran ne répondit rien et se contenta de lever les yeux au ciel - discrètement, car il ne tenait pas à mourir poussé sous les roues d’un taxi avant d’avoir pu jouer Hans - avant d’imiter le trader devant lui sous son pull à l’effigie du New York City Ballet. Il était sorti pour échapper quelques minutes au regard meurtrier des autres, espérant trouver en Serena un soutien, une épaule amicale, mais force était de constater que même sa petite amie lui en voulait d’avoir eu le rôle. Mais qu’y pouvait-il ? Il était meilleur, voilà tout.
Ugh, il aurait voulu parler à Skylar. Elle aurait forcément compris que ce n'était pas sa faute à lui.
Mais il ne savait même pas où elle était, ces temps-ci, et le numéro qu'elle lui avait laissé la dernière fois ne fonctionnait plus. Bran savait qu'il ne devait pas s'en inquiéter, que c'était comme ça qu'elle fonctionnait, mais jamais ils n'avaient passé autant de temps sans se parler.
Devant eux, le trader passait sa commande et à côté de lui, Serena continuait de se lamenter. Bran n’avait pas besoin de l’écouter pour sentir l’animosité qui émanait d’elle ; elle avait repoussé son baiser, puis ses mains, et regardait droit devant elle, les bras croisés, les lèvres pâles. Il aurait voulu pouvoir dire qu’il comprenait, mais il savait aussi qu’il ne le pouvait pas. Il avait eu un rôle, le rôle. Et bientôt, il serait sur scène, et il leur montrerait à tous—
Quelque chose attira son regard de l’autre côté de la rue. Une intuition, presque imperceptible.
Bran se figea complètement. Il crut qu’il rêvait tout à coup, une interruption de ses songes de gloire et de succès. Parce que ça ne pouvait être que ça, non ? Ça ne pouvait être qu’un rêve.
Jax.
La silhouette disparut, engloutie par un flot de passants pressés, mais le corps de Bran avait décidé pour lui. Sans même s’en rendre compte, il bondit au milieu du trafic. Loin, très loin derrière lui, il entendit le cri de Serena. Une voiture pila juste devant lui et Bran eut un bref mouvement de recul. Mais il ne pouvait pas perdre de temps. Jax. Jax. Jax.
Il avait l’impression de poursuivre un fantôme. Une seconde, il avait l’impression de le voir aussi clairement qu’en plein jour ; à la seconde d’après, la silhouette disparaissait pour reprendre les traits d’un New Yorkais anonyme qui le regardait comme s’il était fou, ce que Bran avait franchement l’impression d’être alors qu’il s’excusait pour la troisième fois de s’être trompé de personne.
Et si Jax était un fantôme, pourquoi le poursuivait-il avec autant de désespoir ? Il avait fait son choix, un an plus tôt. But I can’t let it - him - go.
Il y eut un mouvement de foule à l’entrée d’une bouche de métro, parents pressés aux bras chargés de paquets, des touristes venus admirer les décorations, des couples aux mains entrelacés que Bran sépara sans vergogne alors que le fantôme disparut au coin de la rue. « Jax, attends ! » La supplique s’échappa de sa bouche sans qu’il ne puisse la retenir alors que sa main se refermait du vide. Personne ne se retourna, comme si sa voix avait été avalée par le chaos humain. Please, no. Bran se fraya un chemin désespéré entre les passants, tourna à l’angle à son tour, mais il savait déjà qu’il l’avait perdu. Encore.
Derrière lui, quelqu’un se racla délicatement la gorge et une poigne de fer se referma sur son épaule. « Bran ? Hello ?! Tu m’expliques ? Tu as failli te faire tuer ! » Serena. Mais le corps de Bran, d’habitude si flexible, resta pétrifié. Il était incapable de bouger, insensible aux flocons de neige qui se déposaient en couronne sur son front brûlant, au flot des passants, à l’insistance de sa petite amie. « J-j’ai cru voir quelqu’un. » balbutia-t-il sans la regarder. Sans même y penser, il se dégagea de son étreinte et se hissa sur la pointe des pieds pour balayer la rue des yeux. Please, give him back.
Derrière lui, Serena fronça les sourcils. La plupart des gens aurait balayé l’incident d’un revers de la main, mais pas Serena Hearn. Déjà, songea Bran, elle avait les mains trop parfaitement manucurées pour se risquer à les desserrer de l’anse de son sac Chanel et surtout, elle possédait ce sixième sens de prédateur : là où les fauves repéraient l’odeur du sang, Serena, elle, sentait la discorde à des kilomètres. Et c’était rarement pour l’esquiver. « Quelqu’un ? » insista-t-elle en croisant les bras, ce qui n’annonçait jamais rien de bon.
La silhouette avait disparu, si elle n’avait jamais existé. Avait-il tout imaginé ? Autour de lui, New York continuait de tournoyer, indifférente à sa supplique silencieuse, celle qu’elle lui rende Jax. Il neigeait plus dru et il devenait difficile de distinguer les passants aux bras chargés. Si Jax n’était pas parmi eux, alors où était-il ? La question le heurta comme un train, broya son coeur déjà battant comme un forcené. « Quelqu’un que j’ai connu il y a longtemps. » murmura-t-il, le regard lointain, la voix blanche. N’avait-il pas fait son choix ? Pourquoi fallait-il qu’il resurgisse maintenant ? « Écoute, tu auras ton mental breakdown plus tard, on doit y retourner. » fit Serena en lui attrapant le poignet. Pour une fois, Bran se laissa faire. Serena avait raison : il ne pouvait pas craquer maintenant, et surtout pas comme ça. Il était Brandon Rose, for God’s sake.
Mais il lança quand même un dernier regard derrière son épaule alors qu’il rejoignait sa petite amie, et supplia une dernière fois New York de lui rendre Jax Beauchamp.